Carole Bressan
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Mes remerciements vers Michel Lagrange qui m'a offert ces très beaux écrits.
Une série de toiles peintes par Carole Bressan s’intitule « Poétiques du Paysage ». Réfléchissons un instant sur le sens de cette expression. Est poétique, au sens étymologique du terme, ce qui relève de la création. Ce qui a la vertu de faire, de produire, d’inspirer. Le nom féminin « poétique » est l’art de la poésie, ce qui émeut, ce qui éloigne de toute vision prosaïque, utilitaire. Diderot parle de la « poétique des ruines ».
Carole Bressan parle de la « Poétique » d’un paysage. Cela veut dire que ce paysage est considéré comme le point de départ d’une émotion, d’une expérience esthétique et spirituelle. Le paysage est actif, disponible, révélateur. Le peintre le reçoit et le donne à voir, non en tant que copiste des apparences, mais comme visionnaire d’un univers naturel qui va plus loin que ce qu’il paraît et s’ouvre sur une autre dimension. Ce paysage découvert, révélé, acquiert, par le regard et le geste du peintre, une dimension quasiment divine, dont la beauté est le signe silencieux. Dont l’unité nouvelle est l’aveu d’une création qui nous dépasse et nous invite à nous renouveler, à nous situer sur un plan supérieur de regard et de connaissance. Ainsi, la géographie, les collines, les rivières, le ciel et les nuages deviennent le foyer d’une transfiguration transparente et lumineuse. Hors du temps. On peut parler de sublimation, ou d’idéalisme, au sens platonicien, dans la mesure où un autre univers où vit la Vérité se laisse approcher par le regard intérieur de Carole Bressan, qui concrétise sa vision ( et spiritualise sa matière picturale) par un art de peintre fidèle à ses aspirations les plus nobles. On ouvre un absolu, délié des lourdeurs hasardeuses et des confusions erratiques. C’est ainsi que le paysage nouveau face auquel nous nous trouvons est un paysage inspiré, inspirant. C’est ainsi que l’œuvre d’art acquiert sa liberté, sa perfection, sa beauté, et que nous les acceptons dans un bonheur hors de la vie de tous les jours.
Je parlais tout à l’heure de « silence », mais il s’agit d’une musique immatérielle, telle la musique des sphères qui a inspiré tant de mystiques !
Michel Lagrange, écrivain et poète
ANIMA MUNDI
Ciel d’encre écriture en divagation
Orthographe au-delà des mots
Silence
Nuageuse avalanche au ralenti du ciel
Névés-nuages
Il fait un temps de neige
Éblouissante
Un kaléidoscope à ciel ouvert
Emplit l’espace et le temps de ferveurs
Ciel du Gréco
Chaque nuage exprime un drame
Et se déploie comme une armée
C’est à travers une vitre étoilée
Qu’un décor fragmentaire
Avoue ses rayons divergents
Il m’appartient de les unir
Au-delà de l’accidentel
Autant de ricochets que de couleurs
Et d’harmonies que de contrastes
Un vol vibré dans le ciel bleu
Cette allusion au spirituel
Me fait signe et clarté majeure
Un réseau d’escarbilles
Autant de perles suspendues
Dans les reflets des tableaux de Vermeer
On voit perler dans l’air
Les confetti porte-bonheur
D’une rosée nuptiale
Un coteau se déplie comme s’il respirait
L’amitié du rivage
L’herbe a des velléités de bleu-vert
En nostalgie des premiers jours
Quand le ciel et l’eau se parlaient
Dans un langage unique
Les feuillets d’un grand livre ouvert
Font palpiter le vent
Je vois trembler sur les coutures
Une impatience hostile à des lotissements de bas étage
Orient
Vert turquoise
Émeraude
Ici concentrés se font joie
Tous les matins du monde
En éclairs fulgurants
Je ne sais qui
De la terre ou du ciel
Du temps et de l’espace
Est le reflet de l’autre
Ils coïncident
Au point que les couleurs n’hésitent pas
Entre la profondeur et l’altitude
Ce ne sont pas les sanglots matériels
Qui pèseront le plus
Dans le combat du corps et de l’esprit des lieux
Une île émancipée dans l’air
Ne fera-t-il donc jamais nuit
Pour que je me retrouve au plus facile
Au plus courant
Quand je dis que tout est reflet
Je ne suis qu’un écho
Dans le mouroir des apparences
Ouverture en majeur
Porosité
Un paysage attend de moi
Que je le révèle et le multiplie
Entrée dans la vision qui sait ce que j’ignore
Une apothéose architecturale
Hésite encore
Entre la plénitude et la concentration
Au point que les couleurs ne savent plus
À qui appartenir
Au point que je me perds
Dans tous les sens
À la merci d’échappées belles
Au point que la Lumière est une aubaine
La voix du cœur ouvre au divin
Je m’oriente et je m’accomplis
Dans la vérité d’un chemin qui monte
Et le vent se met à fleurir
En prophéties solaires
Ampleur exaltation
Il faut reconstituer les fragments du symbole
Et le temps vertical
Cet offertoire est à multiplier
Jusqu’à l’intégrité d’un puzzle unanime à nouveau
Et plus vrai que nature
Autant de palimpsestes
Au fond desquels dormait
En espérant l’éveil
Le sens hiéroglyphique
Intemporelle et baptismale
Une aube instruit les cadrans du soleil
Et me transporte à la proue de la connaissance
La terre et le ciel se déploient
Pour exprimer traduire et mettre à jour
Les secrets de l’énigme
Pendant longtemps les fleurs de la Lumière
Ont dépéri
Donnant naissance aux fruits de l’ombre
À mots couverts ils insinuent
Se souvenant de tout
Ne savent pas mentir
Le sang de l’ombre étire au courant de mes veines
Un fil rouge obsédant
Un appel d’air me porte
Aux aveux de l’aurore
Je dois me taire à l’instant du combat
De la Lumière et de l’Obscur
Même au plus épais du brouillard
Une clarté remet en perspective et jeu
Les pouvoirs de mon intuition
Qui entre ouvertement dans le miraculeux du jour
C’est la rosée du ciel qui porte un voyageur
Au sommet de son enthousiasme
Et le transforme en pèlerin désormais rédimé
Silex étincelants
Je suis heureux comme si mon salut
N’était que la coïncidence avec un paysage
Être fier du possible agrandit mes reliefs
Je me souviens de la mythologie
In illo tempore
Transparence et vertige
Ont partie liée comme une enluminure
À la Bonne Nouvelle
Consolation des aplats veloutés
Le ciel marbré d’effervescence
Offre un spectacle
Hostile à vue première
On dirait le chaos
Mais résolu à la Révélation
Enchantement nécessité du feu
Miroitements de la mémoire en devenir
Comme il est bon de voir un paysage
Entrer dans sa résurrection
C’est parier sur la cohérence
Et sur l’esprit des choses
Un bleu de baume est ma consolation
Quand il se porte au niveau des nuages
Un esprit se fait buissonnier
Il est chez lui dans les courants d’un ciel
Réorchestré de main de maître
Abolition des anguleux pouvoirs du temps
Des accidents
Des platitudes
Aux dépens de l’anecdotique
Et de la dépendance au pensum des contours
Je m’épanouis je me confonds
Avec tant d’harmonie
Oublier c’est trahir
Toute Beauté ce sont des retrouvailles
Retour à l’innocence
Élargissement d’un rivage
Emprisonné longtemps
Par le confort mesquin des prosaïques
Appel au presque rien
Genèse
Abolition des exuvies
Et des eaux mortes
Il s’agit du plain-chant rituel
De la Célébration
L’Apocalypse est devant moi
Peu s’en faut que j’entende
À moi venir
Les cavaliers-fantômes
Le paysage a triomphé de ses hasards
S’est élevé à hauteur de vertige
Et d’unanimité
Les eaux la terre
Ont décidé de s’épouser
Je suis nommé Compagnon-des-nuages
Le haut pays que je contemple
Et qui fait partie de mon souffle
Accorde enfin ses lettres de noblesse
Au moindre éclat de l’eau sur des flocons d’écume
Ainsi devient le passager de l’Absolu
Celui qui va plus loin que les couleurs
Il se retrouve universel
Au cœur d’un paysage erratique autrefois
Devenu symphonie majeure
Polyphonies de l’espace invisible
Et de l’intemporel
S’abandonner à la Beauté qui se cachait
C’est répondre à des ultrasons
Accueillir en soi une éternité
Revenue de l’exil
Aubaine aux clairvoyants
Hiérogamie cosmique
Incarnation
Ensoleillement du Mystère
Théurgie de la Délivrance
Unanimité du partage
Aux noces d’or de l’apparence
Et de son au-delà
Un astre en suspension
Invisible intérieur
Vaut mieux que les soleils ponctuels
C’est un alpha de source
Offerte à la Beauté du monde
Épiphanie solaire à fleur d’apothéose
Aubaine au centre du jardin labyrinthique
Il y aura ce soir
Une Lumière
Et sa couronne des couleurs
Il y aura ce soir
Autour de la Lumière
Des cris d’oiseaux travaillés en chefs-d’œuvre
Ce paysage est victorieux
Il est partout et nulle part
Sans point de fuite ou hiérarchie
Au diapason de sa mouvance
Y compris les couleurs de cette initiation
Tout est contemporain de la Lumière
Un silence épris d’harmonie
Face à l’éternité il n’est plus temps
Il n’y a plus d’exil au cœur de la Beauté
Il n’a plus de labyrinthe ici
Mais un jeu de marelle
Offrant le Paradis à cloche-pied
À trompe-l’œil
À Vérité sublime
Ainsi navigue en liberté
La paix du monde
Cette odyssée aura le dernier mot
Qu’il me faut transcrire à mon tour
Partir de nulle part
Cesser dans le non-lieu
Ne plus mourir
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